jeudi 18 avril 2013

Être athée rend-il apathique, est-ce le fruit de la raison plate ?

Alors qu'une majorité d'Occidentaux vilipendent les institutions religieuses, le philosophe Emmanuel Jaffelin rame à contre-courant dans son plus récent livre. Jugeant que la religion nous sort du matérialisme dans lequel le marché nous emprisonne, il croit aussi que les athées se posent moins de questions que les croyants et vivent davantage dans l'apathie. Son opinion dérange, dans une société où l'athéisme est devenu le nouveau prêt-à-penser.

L'athéisme est chic : nous avons passé l'âge de croire au paradis. Allons plus loin : celui qui s'abaisse à croire à ces fadaises ne se condamne-t-il pas à être un fada ou un crétin ? N'y a-t-il pas un défaut d'intelligence et de connaissance dans le fait d'adhérer à toutes ces choses que la religion a placées dans la tête des hommes ? On a beau être désespéré ou avoir peur, on ne se rassure pas avec un tissu de sornettes ! Désormais, la science est là qui nous dit de quoi nous sommes faits et de quel bois nous devons nous chauffer. L'humanité est adulte, ce qui signifie que nous ne devons plus aduler ni Dieu ni Maître. Nous avons ainsi franchi une étape qui fait de nous des hommes de savoir, non des croyants. Mais si nous n'allons pas au Paradis, à quoi bon vivre et pourquoi avons-nous vécu ? Quel est le sens d'une vie qui débouche sur le néant ? Que deviennent mes atomes après ma mort ? Après moi, est-ce le déluge ou le début d'un je-ne-sais-quoi-presque-rien qui ressemblerait à une autre vie ?


Pour François Taillandier,
« on aurait tort de voir comme une insolence facile On ira tous au paradis – Croire en Dieu rend-il crétin ?, titre et sous-titre du bref essai que vient de publier Emmanuel Jaffelin, qui est professeur de philosophie. C’est un ouvrage réjouissant et très intelligent qui fait le point sur un sujet capital : la possibilité intellectuelle (ou non) d’être croyant aujourd’hui. Précisons d’emblée que l’auteur répond par l’affirmative. 
L’essai se divise en trois parties intitulées « Dieu expire », « Dieu respire », « Dieu inspire ». Dans la première, il évoque les deux « putsch » qui ont tenté d’en finir avec lui. Le putsch des philosophes (qui n’est pas nouveau puisque il commence avec Thalès et se prolonge jusqu’à Marx, Nietzsche et Freud) ; plus récemment le putsch de la marchandise, qui prétend instaurer le paradis par la consommation (mais fait du même coup de chacun de nous un objet utilisable et consommable, y compris en chacun de ses organes). 
Je passerai plus vite sur la persistance de Dieu (« Dieu respire »), persistance qui se marque de la Fête de l’Etre suprême en 1793 au dollar américain, en passant par 70 ans de communisme russe. La partie essentielle, où l’auteur ainsi équipé ouvre (ou rappelle) des pistes trop méconnues aujourd’hui, c’est la troisième, celle où « Dieu inspire ». En s’appuyant beaucoup sur Bergson et sur Simone Weil, Emmanuel Jaffelin nous convie à réfléchir sur une pratique : la prière, dans laquelle l’être humain, face à une réalité qu’il n’est pas en son pouvoir de modifier, s’en remet à l’exhalaison de son souhait, de son désir, de sa demande, qu’elle le concerne en particulier ou qu’elle porte sur la marche des choses. Serait-ce là une pratique archaïque, un recours à la magie qui est (l’auteur en convient parfaitement) le contraire de l’intelligence active ? Non, répond-il. L’homo sapiens, l’homo faber, dispose de la raison et de la technique, qui le libèrent en partie du déterminisme matériel. Mais à la différence de l’animal enfermé dans l’instinct et dans l’instant, il est le siège d’une autre intuition. La prière met en œuvre une énergie autre, en laquelle Bergson voyait la pointe avancée, peut-être la plus avancée, de l’élan vital. 
L’enjeu, pour nous aujourd’hui, est donc le suivant : la tekhné, que nous avons développée à un point qui nous étonne nous-mêmes, nous a-t-elle libérés comme nous l’espérions ? Le danger n’est-il pas au contraire qu’elle nous dévore et nous assimile à ses fonctionnalismes ? La prière, le recours à un invisible, à un improbable dont nous avons pourtant l’intuition, serait alors l’autre plateau de la balance, le moyen de rester humain et doté d’une âme. 
Sans jouer au prêcheur, sans pédantisme, avec une charmante alacrité et un remarquable sens de la formule (« l’objet de ma pensée qui ne peut trouver preuve exige que je m’en méfie, non que je m’en dégoûte »), Emmanuel Jaffelin met entre nos mains une grenade dégoupillée. Mais une grenade belle et bonne comme le fruit du même nom. »


On ira tous au Paradis : croire en Dieu rend-il crétin?,
d'Emmanuel Jaffelin,
chez Flammarion,
en 2013.

Audio-vidéo

Écouter l'entrevue avec Emmanuel Jaffelin (amusante, car Normand Baillargeon se fait moucher).






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